LA FICELLE DE LA DETTE

La dette représentée

Animation du jeu : les étapes

Durée :

2 à 3 h (variable en fonction des étapes 3 et 4)

Nombre de participant-e-s :

20 à 30

Le jeu (de 45 min à 1h)

1. L’animateur présente le jeu comme un exercice nous permettant d’explorer le mécanisme complexe de la dette extérieure publique des PEDs. Puis il explique rapidement les termes « extérieure » et « publique ».

  • Extérieure : ensemble des dettes qui sont dues à des prêteurs étrangers.
  • Publique : emprunts de l’Etat, de ses collectivités publiques et des organismes qui dépendent de lui (sécurité sociale, entreprise publique,…)

2. Les participants sont invités à s’installer en trois cercles concentriques (le nombre de personnes par cercle est déterminé par l’animateur en fonction des cartes d’identité qu’il aura choisies au préalable).

3. L’animateur distribue une carte d’identité à chaque participant, selon leur place sur les trois cercles.

S’il y a des éléments que les participants ne comprennent pas, l’animateur leur propose de poser des questions sur leur identité.

A cet instant, l’animateur explique que le jeu va avoir une dimension spatiale, puisque des personnes, choses, organismes du monde entier sont représentés, et une dimension temporelle, avant 1982 et après 1982. Il explique que c’est lui qui interviendra pour donner le changement temporel.

Il explique que la dimension temporelle est représentée sur la carte de certaines identités en un fond jaune (pour la période avant 1982) et en un fond vert (après 1982) ; et que les participants qui possèdent des cartes avec des fonds colorés doivent respecter cela et intervenir selon les couleurs (intervention jaune avant 1982 et intervention verte après 1982).

4. L’animateur invite une pays en voie de développement à se présenter.

5. Lorsqu’une partie de la dette se présente, l’animateur demande : « Dans le cercle des organisateurs ou des impacts, qui pense être en lien avec cette partie de la dette ? Et pourquoi ? ».

L’animateur relie les participants au fur et à mesure avec la ficelle, chaque fois que l’un d’eux se présente.

6. L’animateur peut émailler le jeu d’anecdotes ou de données relatives aux identités et inciter les participants à exprimer pourquoi ils se sentent reliés les uns aux autres.

7. Lorsque chacun s’est exprimé, pour clôturer l’exercice, l’animateur invite les participants à tirer sur le fil qui les relie aux autres afin de sentir toutes les tensions et relations au sein du système.

Conclusion avec le Transfert Net de la dette extérieure des PEDs

Elle représente les intérêts et les rééchelonnements de la dette, c’est-à-dire tout l’argent qui transite des PEDs vers les pays du nord pour le coût de l’endettement moins le remboursement du stock de la dette (équivaut environ au coût du prêt). De 1985 à 2006, elle représentait 759 milliards de dollars ! Et elle ne cesse de croître, en 2007 elle représente 190 milliards de dollars !!!

Par exemple, pour un prêt d’1 dollar fait dans les années 1980 par un PED, ce PED a déjà remboursé 10 dollars et il lui reste encore 5 dollars à payer !!!!!

Expression du ressenti (10 min)

L’animateur invite les participants à exprimer ce qu’ils ont ressenti pendant le jeu : impuissance, injustice, déni, incompréhension, culpabilité, surprise…

Analyse : décodage politique et éthique (20-30 min)

L’animateur invite les participants à identifier et décoder :

■ leurs idées concernant le fonctionnement de ce système

■ les « gagnants » et les « perdants » du système

■ les relations de pouvoir au sein du système

■ les liens avec la réalité vécue par les participants et leur place au sein du système, en tant qu’acteur de celui-ci.

Construction d’alternatives

L’animateur invite les participants à se positionner : réfléchir à leur rôle au sein du système, énoncer les possibilités de changement et d’engagement individuels et collectifs.

Variante : en cas de manque de participant, on peut représenter les 4 parties de la dette par une chaise et ses 4 pieds.

1. Je suis un Pays en voie de développement, un PED

Avant on m’appelait pays du tiers-monde. Avec tout les autres PEDs, nous abritons plus de 3 hommes sur 4 sur la planète, ce qui fait environ 4,5 milliards d’humains.       Et parmi eux, plus de la moitié vivent avec moins de 2 dollars par jour. On a tendance à entendre que ce n’est de la faute de personne s’il y a des gens qui meurent, qui sont analphabètes, qui ont faim, qui ont soif, que d’abord personne ne peut rien y faire. Moi j’aimerais que mes habitants ne subissent pas tout çà,       malheureusement je ne peux pas augmenter mon budget alloué aux services sociaux (santé, éducation, subventions des produits de base) parce que je dois utiliser environ 45% de mon budget pour rembourser ma dette extérieure publique. Mais laissez-moi vous la présenter, avec en premier la partie privée de ma dette.

(2eme partie bilatérale de ma dette ; 3ème partie multilatéral de ma dette)

Le taux d’intérêt américain vient d’augmenter brutalement pour que les USA luttent contre l’inflation et réaffirment leur leadership mondial.

Je dois rembourser 3 à 4 fois plus d’intérêts du jour au lendemain.

De plus, comme le grain de café, le cours des produits agricoles et matières premières qu’on m’avait demandé d’exporter, est en train de baisser.

En 1982, c’est la crise, je ne peux plus rembourser ma dette et plus personne ne veut me prêter d’argent.

Il demande : « est-ce que quelqu’un pourrait m’aider » ?

(puis présentation de la 4ème partie odieuse de ma dette)

2. Je suis la PARTIE PRIVÉE de la Dette extérieure publique des PEDs

Je proviens des nombreux prêts qui m’ont été accordés par les banques du Nord. Je suis la dette la plus ancienne puisque je suis née du besoin pour les PEDs de financer leur développement après leur autonomisation dans les années 60. Aujourd’hui je représente environ 15% du stock de la dette extérieure publique des PEDs.

3. Je suis la PARTIE BILATÉRALE de la Dette extérieure publique des PEDs

Je proviens de nombreux prêts qui m’ont été accordés par des états du Nord. J’ai commencé à devenir importante après le choc pétrolier de 1973. Je suis née de la proposition des pays du Nord aux PEDs de leur faire des prêts à des taux très avantageux même si cela nécessitait d’accepter certaines conditions.

4. Je suis la PARTIE MULTILATÉRALE de la dette extérieur des PEDs

Je proviens de nombreux prêts qui m’ont été accordés par des institutions internationales.

Je suis née de l’insistance du marché mondiale de me voire améliorer mon appareil d’exportation et ainsi me connecter à lui de manière performante.

Après la crise de la dette, je me voie contrainte et liée aux PAS du FMI.

Aujourd’hui je représente la grande majorité de la dette extérieure publique des pays pauvres qui s’élève aujourd’hui à 1350 milliards de dollars.

5. Je suis la PARTIE ODIEUSE de la dette extérieure des PEDs

Je proviens de la caste dirigeante de certains PEDs qui se sont grandement enrichis personnellement grâce aux différents prêts du Nord. Je représente une part différente de la dette selon les PEDs mais je peux représenter des pourcentages énormes, ainsi de nombreux pays n’auraient plus de dette extérieure si certaines personnes remboursaient ce qu’ils ont volé.

6. Je suis une Banque privée du Nord

Après la Seconde Guerre Mondiale, les USA investissent en Europe pour lui permettre de se reconstruire, c’est le PLAN MARSHALL (100 milliards de dollars ). Puis ils encouragent les entreprises américaines à investir en Europe pour ne pas voir les Européens demander la conversion de leurs dollars en or (et donc le retour des dollars aux USA synonyme d’inflation). En 1960, Je regorge donc de dollars (les eurodollars) pour lesquels je suis en recherche d’investissements et de débouchés.

Je les prête alors aux PEDs.

Après le choc de 1973, les pays producteurs de pétrole acquierent des revenus confortables qu’ils placent chez moi (les pétrodollars). Je les prête encore aux PEDs pour les faire fructifier.

Je pratique des taux faibles sur ces emprunts pour qu’ils soient attractifs, je me fixe sur les taux américains, de l’ordre de 4 à 5% dans les années 70.

Je ne suis pas regardante sur la corruption et l’utilisation de mes prêts puisque, gérant aussi les comptes privés des dictateurs et de leur entourage, je récupère de l’argent frais à réinvestir et je peux toujours faire pression sur les dirigeants s’ils ne remboursent pas la dette de leur pays.

7. Je suis un pays du Nord

Après le choc pétrolier de 1973, je vis une période de récession et de chômage massif et donc mes marchandises se vendent beaucoup moins. C’est alors que j’ai l’idée géniale de prêter de l’argent au PEDs sous forme de crédits d’exportations. C’est-à-dire que je leur prête par exemple 10 millions à taux bas sous condition qu’ils les utilisent pour m’acheter pour 10 millions de marchandise. Je relance donc mon économie tout en ne dépensant rien puisqu’ils doivent me rembourser maintenant les 10 millions prêtés !!!

Je ne suis pas non plus regardant sur la corruption, elle me permet de soumettre les gouvernements à ma Loi, notamment quand je décide d’installer des entreprises nationales chez eux, ou d’extraire des produits bruts (pétrole, minerai, …). Même si pour cela je dois protéger les dirigeants en les armant contre les coups d’états, ou au contraire aider des rebelles à prendre le pouvoir en échange de bons rapports futurs.

8. Je suis la Banque Mondiale

Je suis né en 1944 et teste une nouvelle forme de « démocratie » qui est « un dollar, une voie ».

De 1968 à 1973, en pleine guerre froide, je vais prêter énormément d’argent aux PEDs, soit pour garantir mes alliés (Mobutu au Zaïre, les dictatures brésiliennes et argentines,…), soit pour contrecarrer les entreprises de d’indépendance économique de certains pays (Égypte, Ghana, Jamaïque, Indonésie,…).

De mauvaises langues m’accusent d’avoir acheté des dictateurs plutôt que d’avoir investis dans l’économie de ces pays, mais je souhaite pourtant sincèrement que cet argent soit destiné à moderniser leur appareil d’exportation pour qu’ils puissent rentrer dans le grand jeu du marché mondiale, et çà a bien servit à cela… en partie.

9. Je suis le Fond Monétaire International

Je vole à la rescousse des PEDs ! En bon père de famille, je ne peux pas voir ces pays ruinés. Bon c’est vrai que j’interviens surtout pour ne pas voir les créanciers du Nord couler parce qu’on ne les rembourse plus.

Donc je décide de prêter de l’argent (à taux fort bien sûr !) aux PEDs pour qu’ils puissent continuer à rembourser leur dette (et commencer à rembourser celle qu’ils me doivent !) mais en échange le pays doit accepter de mener la politique décidée par mes experts.

C’est ce qu’on appelle mes (jolis) Plans d’Ajustement Structurel (PAS).

Comme mon ami la Banque Mondiale, je fonctionne sur le modèle « 1$=1voie ». En gros, même si je suis composé de 185 pays, les 12 pays les plus riches détiennent 66,48% des droits de vote. En plus les USA détiennent à eux seul 17,5% des droits de vote, or comme il faut une majorité absolue de 85% des voies pour les décisions importantes, les USA possèdent donc un droit de véto absolu et font donc ce qu’ils veulent de moi en fonction de leur convenance !

10. Je suis une Multinationale

En échange des prêts de mon état ou d’organisme internationaux, j’ai pu m’implanter durablement dans certains PEDs.

Je « demande » à certains PEDs de construire des projets pharaoniques grâce à leurs emprunts aux organismes internationaux, pour me permettre de mieux exploiter leurs richesses comme ils n’ont pas la technique pour le faire! J’utilise la main d’œuvre locale très bon marché puisqu’il n’y a pas beaucoup de travail. ils viennent donc travailler pour moi, ou pour une autre multinationale.

En échange je verse au pays une (faible) partie de ce que je gagne, et j’aide mes amis les dirigeants à rester en place pour conserver mes intérêts dans la zone, que ce soit grâce à l’envoi de militaires de l’armée de mon pays ou par l’argent qu’ils détournent pour acheter des armes (quand je ne leur prête pas mes hélicoptères).

En plus grâce à l’aide multilatérale du FMI, il n’y a plus de taxe, je peux donc rapatrier sans perte mon argent en France.

11. Je suis un grain de café du Nicaragua 

Moi et mes copains, on est de véritables globe-trotters ! Presque le Monde entier nous connait. Depuis que l’appareil d’exportation de mon pays est devenu plus performant, on est vendu dans la majorité des supermarchés des pays occidentaux. Cela permet au Nicaragua de récupérer assez de monnaie pour rembourser sa dette et même pour investir un peu !

Mais depuis un moment, la monnaie de mon pays a chuté et en en plus de nombreux PEDs arrivent aussi à exporter beaucoup de grains de café, tant et si bien que on me demande moins et que donc mon prix chute !

12. Je suis une barrière douanière de côte d’ivoire

Pffffff… je suis en grande dépression ! J’ai l’impression de ne servir à rien ! Depuis que mon pays a appelé au secours le FMI, il parait qu’ils sont obligés de me laisser grande ouverte. Mais c’est quoi une barrière qui reste toujours ouverte… Oh il fut un temps où j’étais très active… Ah le bon vieux temps ! Rien ne rentrait ou ne sortait sans être passé par mon contrôle et surtout ma taxe ! Je taxais tout ce qui rentrait pour que ça soit au moins au même prix sinon plus cher que nos produits locaux, selon nos besoins. Et puis si on venait s’enrichir chez moi et bien si on voulait rentrer chez soi avec son argent, il fallait payer un impôt !

Maintenant les Hommes ont décidé que tout pouvait circuler librement, le libre-échange ils appellent çà, sauf pour les Hommes d’ailleurs… Ah oui çà ma cousine la barrière frontalière elle en manque pas de boulot.

13. Je suis Antsiva, cadre du secteur des télécoms malgaches

En 1975, j’ai été engagé dans la société publique de télécommunication du Madagascar. J’avais reçu une bonne éducation et l’état m’a donné un beau poste. Ce poste il a pu me le donner grâce aux grands investissements qui ont eu lieu après les nombreux emprunts que lui ont accordé des banques occidentales. J’étais très content de travailler à ce poste parce que je gagnais bien ma vie ce qui me permettait de nourrir ma famille, en plus je servais mon pays à se développer et j’en tirais une grande fierté.

En 1999, le FMI a accordé un crédit à Madagascar qui était au bord de la faillite. Mais en échange, mon pays a du faire de nombreuses concessions dont celle de libéraliser les télécommunication, il a alors suffit d’un an pour qu’au bord de la faillite nous soyons rachetés par un réseau de téléphonie international concurrent. J’ai été licencié et remplacé par un anglais. Je suis triste surtout pour les jeunes malgaches qui n’auront jamais la chance de travailler dans une entreprise d’état puisqu’elles sont toutes privatisés une à une. J’ai peur pour l’avenir de mon pays.

14. Je suis Abdoulaye, un pêcheur traditionnel sénégalais 

Depuis que mon gouvernement a accepté les accords de pêche des pays du Nord, les gros navires européens viennent au large de nos côtes avec leurs grands filets, je pars tout les matins sur la pirogue en sachant que la pêche de la journée sera mauvaise, de jour en jour plus mauvaise.

Je ne comprends pas pourquoi mon gouvernement a accepté ses accords, nous le poisson c’est notre seule richesse. Et même le peu qu’on ramène, on ne peux le manger, le vendre ou l’échanger, car il est plus rentable de le vendre pour qu’il parte là-haut, au Nord. Mais à quoi çà sert de le rentabiliser, si après on a quand même pas assez pour se nourrir et nourrir sa famille !

On m’a dit que le Sénégal était obligé d’accepter de vendre notre océan, que sinon les pays qui nous prêtent de l’argent nous demanderaient de rembourser et supprimerait l’aide publique au développement qu’il nous donne, on en a pas les moyens. Avant ils étaient là les blancs, à nous opprimer, maintenant ils peuvent faire çà tranquillement de chez eux, sans même avoir à regarder la souffrance de mon peuple dans les yeux.

15. Je suis une petite ONG française

Moi j’ai envie d’aider, réellement, pas juste en envoyant de l’argent. Je veux qu’on leur montre qu’on est solidaire avec eux. C’est le moins qu’on puisse faire ! Même si je ne me sens pas responsable de la colonisation, c’est vrai qu’ils ont pas eu ma chance, celle de naitre dans un pays occidental. Maintenant qu’ils sont maitres de leur destin, il faut allé les soutenir pour qu’ils se développent. Tout ces enfants qui meurent, alors qu’il n’y a pas d’hôpitaux, pas d’aide pour les plus pauvres,… Ce n’est plus normal de nos jours !

Je suis déjà partie deux fois, et çà c’est très bien passé, même si ils arrivent qu’on se fasse engueuler, qu’on nous dise que la colonisation est loin d’être finie, qu’on apporte des miettes de solidarité pendant que le Nord les opprime. Bon ok sarkosy n’aurait pas du leur dire qu’ils « n’étaient pas assez entrés dans l’Histoire » mais c’est vrai que parfois j’ai du mal à comprendre pourquoi rien ne change ! c’est mon rôle d’humain d’aider à ce que cela change !

16. Je suis Daouda, enseignant et militant au Mali

J’ai commencé à enseigner en 1994, à l’époque j’avais 45 élèves et c’était déjà dur, mais j’ai toujours voulu aider les enfants à apprendre, à comprendre. Malheureusement mon pays n’était plus capable de rembourser ce qu’on lui avait prêté, notamment parce que la dictature du général Traoré a détourné plus de 2,5 milliards de dollars entre 1968 et 1991 ! maintenant mon pays est une vrai démocratie, peut être la plus exemplaire d’Afrique. Mais notre gouvernement a du accepter la politique du FMI pour survivre : « promouvoir les activités marchandes et assainir le secteur public » comme ils disent. Ah çà pour assainir, ils ont assaini ! De 90 entreprises publics en 1985, il en reste moins de 36 aujourd’hui. Et pour les salaires de la fonction publique on est passé de 15% à 10,8% du PIB. J’ai travaillé pendant 8 mois sans recevoir de salaire, alors j’ai du me résoudre à arrêter pour trouver du travail pour faire vivre ma famille.

Aujourd’hui les enseignants ont en moyenne 79 élèves, et ne parlons pas du manque de médecins, de dispensaires, d’accès à l’électricité et à l’eau courante,… Alors aujourd’hui je milite pour que les maliens comprennent que leur situation n’est pas rédhibitoire mais qu’elle passe par une autonomie dans nos choix de vie. Il faut refusé de payer cette dette qui nous tue, qu’on a déjà remboursé 10 fois, et qui nous oblige à mettre notre argent dans la production de ce que veux le Nord ! On peut s’en sortir, il faut relever la tête et dire STOP, parce que maintenant çà suffit !

16. Je suis Codjo, agriculteur béninois

A l’époque je cultivais du riz, cela me permettait de faire vivre ma famille et d’en vendre pour acheter le nécessaire. J’ai bien profité au début des exportations de mon pays. On m’achetait mon riz bien mieux que lorsque je le vendais sur les marchés. Ah elle était belle cette époque, on vivait bien et tout allait pour le mieux.

En 1990, un monsieur du gouvernement est venu me voir, il m’a dit :  «  il faut que tu produises du coton, les blancs veulent du coton. » Moi je lui ai répondu que le coton çà se mange pas, comment j’allais faire pour nourrir ma famille ! Il m’a dit qu’on allait m’aider, avec des subventions, que tout irai bien et que je n’avais pas le droit de refuser.

Alors depuis je cultive du coton, comme tout le monde chez moi, comme plus personne ne cultive le bon riz béninois, on mange du riz de Thaïlande dont le prix n’est jamais le même. D’ailleurs c’est comme le coton, une année il nous en donne tant et l’autre la moitié de çà. Y’a des semaines entières où je peux pas donner à manger à ma famille, je suis agriculteur et je peux pas nourrir ma famille,… Parfois je me dis que je vais refaire du riz, mais çà revient moins chère d’acheter celui qui vient de l’autre bout du monde.

17. Je suis Akang, cultivateur de mangue camerounais

Je cultive des mangues au Cameroun, chez moi une mangue se vend 100 CFA, et un manguier çà donne environ 1000 mangues par an. Avec mon travail j’arrivai à faire vivre honnêtement ma famille jusqu’au jour où des blancs d’une entreprise de pétrole sont venus me dire qu’ils allaient construire un grand tuyau pour faire passer du pétrole du Tchad jusqu’à la mer sur la côte du Cameroun. Ils m’ont dit que le chantier allait passé par chez moi. Je leur ai dit que je n’étais pas d’accord, mais il m’ont répondu que c’était le gouvernement qui avait choisi le tracé et que je n’avais pas le choix, que çà allait aider mon pays ( c’est surtout mes dirigeants qui vont s’en mettre plein les poches, c’est pour çà que ce projet à vu le jour !) parce que des entreprises de blancs allait venir exploiter le pétrole, et que je serai dédommagé.

Dédommagé ! Ils ont détruit les ¾ de mes manguiers, ils m’ont donné 3000 CFA par arbre alors qu’il m’en rapportait 100 000 par an ! Maintenant je ne peux plus faire vivre ma famille, mes fils ont du partir, ils travaillent sur le chantier de construction du tuyau…

18. Je suis Fadil, médecin libanais

J’ai fini mes études en 1981, grâce au prêt notamment de la France, on a pu moderniser un peu nos installations sanitaires avec du matériel français. Bon tout n’étais pas forcément adapté mais c’était mieux qu’avant. Pendant 10ans j’ai travaillé à l’hôpital Hayek, à Beyrouth. Et puis je me suis mis à mon compte en tant que gynécologue de ville.

Mais à force de s’endetter, mon pays a du rendre des comptes. Et les financements pour les services sociaux ont largement diminué. Il est devenu difficile financièrement de se faire soigner et donc de survivre pour les médecins. Des confrères ont commencé à partir à l’étranger pour survivre mais moi je voulais aider mon pays, soigner mes compatriotes, c’était ma vocation, mon honneur. Petit à petit il m’est devenu très difficile de faire vivre ma famille. Un jour une agence de recrutement française est venue taper à ma porte, ils m’ont dit qu’ils pouvaient me trouver un emploi en France, qu’ils manquaient de beaucoup de médecin là-bas, que je pourrais emmener ma famille. J’étais au fond du trou… je suis parti. Aujourd’hui je travaille à l’hôpital de Dijon, je suis exploité, je travaille autant que tout les médecins français, parfois plus, et je gagne moins, mes heures supplémentaires ne sont pas comptabilisés, et je n’ai pas le droit de travailler à mon compte. Mais je me tais parce que je gagne assez pour faire vivre ma famille et envoyé de l’argent à la famille qui est restée là-bas. Je ne peux pas risquer de perdre mon boulot, on compte sur moi. Même si c’est dur, et même si j’ai honte d’être parti alors qu’on avait besoin de moi chez moi.

19. Je suis Bagnomo, sans-papier burkinabais 

Dans ma communauté, on s’en sortait plus. On n’avait pas les moyens d’acheter tout ces produits de base qui viennent de l’étranger, et notre culture de mil n’étant plus aidée, on arrivait à peine à joindre les deux bouts pendant 7mois de l’année. Alors si la maladie arrivait pendant qu’on avait rien, on avait pas de quoi acheter les animaux pour les sacrifices aux anciens, et rien non plus pour acheter les médicaments contre la crise de paludisme. Ce n’était plus possible, alors le chef m’a choisi pour aller en France et gagner de l’argent pour le village. Un matin je suis parti, j’ai traversé tout le désert pour rejoindre la Tunisie, j’en ai croisé beaucoup des gens comme moi, beaucoup sont morts. J’ai utilisé tout l’argent qu’avait récolté le village pour avoir le droit de monter sur une barque, on était 150 dessus, serré comme des bêtes. On apercevait l’ile quand le bateau a coulé, beaucoup sont morts… les femmes, les enfants. Un bateau de policier nous a recueilli.

Ça fait maintenant 24 jours que je suis dans un camps, enfermé comme un criminel, à attendre. Ils vont m’expulser c’est ce qu’ils ont dit. Mais je vais retraversé, d’abords je ne peux pas rentrer au village, j’aurai trop honte d’avoir échoué.

20. Je suis René, éleveur de poule

Depuis 20 ans mon travail a beaucoup évolué, pour rester compétitif j’ai du passer de 10 000 à 60 000 poules. Et même avec cela, je produit à perte ! Mais il ne me servirai à rien de m’agrandir encore, je suis arrivé au point de rupture.

Avec la levé des taxes douanières et surtout les multinationales agroalimentaires comme on peut en voir au Brésil, je dois fixer mon prix sur le plus bas du marché même si celui si est 2 fois moindre que ce que çà me coûte de produire ici.

Si je survis c’est grâce aux subventions européennes, sinon cela ferait bien longtemps que j’aurai arrêté, comme bien d’autre, à quoi me servirai de continuer à travailler pour perdre de l’argent. En échange je participe aux exportations françaises, en effet 80% de mes poules sont envoyés en Afrique après être passées à l’abattoir. Je sais bien que là-bas leur coût de production est encore plus élevé que le mien et que donc ils ne peuvent concurrencer avec leurs élevages, le prix de vente de mes poules là-bas. J’en suis vraiment désolé. J’aimerai aussi que çà change, mais si je ne rentre pas dans le jeu alors c’est la faillite aussi pour moi.

21. Je suis Christophe de Margerie, directeur de Total.

Je suis multi-millionaire et directeur de Total depuis 2ans. Je m’efforce de rester dans les 6 plus grosses entreprises pétrolières mondiales, mais aussi de redonner une bonne image à cette entreprise qui a subit beaucoup de critique (Erika, Birmanie, Affaire Elf,…). Pour cela on assène à coup de belles pubs qui nous coûtent très cher, une image d’entreprise respectueuse de ses clients et de l’environnement, les gens ne viennent pas chez nous par hasard !

Mais oui je sais bien qu’il suffirait d’un prélèvements de 2millièmes de la fortune des millionnaires pour assurer à la totalité de la population mondiale les services sociaux essentiels. Mais que voulez vous, il y aura toujours des pauvres et des riches, et j’ai beaucoup travaillé pour en arriver là, si on veut s’en sortir on peut !

Et puis quand on exploite du pétrole dans un pays pauvre, cela crée des emplois et donne de l’argent à l’état, donc j’aide à ma façon.

22. Je suis Elsa, militante au CADTM

Alors que je participais à la semaine de la solidarité internationale, j’ai discuté avec un membre du CADTM (comité pour l’annulation de la dette du tiers monde). Lorsque j’ai compris pourquoi il revendiquait, je me suis mise à étudier de plus prêt ce problème. Depuis je suis devenu membre de l’association et je participe activement à cette lutte contre l’injustice. Je relais ainsi activement, partout où je le peux, le constat de cette situation inexplicable. Je fait cela parce que j’ai pris conscience qu’on pouvait aider réellement les pays du Sud si les populations au Nord se rendaient compte de la façon dont nos gouvernements et nos institutions internationales entretiennent un cercle infernal ayant pour objectif de se servir des richesses en maintenant une réelle colonisation économique du tiers-monde.

On ne peut pas continuer comme ça, c’est pour ça que j’ai le devoir d’agir.

23. Je suis Comebeaucou, un client de Bouygues Télécom

J’ai appris l’autre jour que les frères Bouygues étaient milliardaires. C’est une belle histoire, en même temps ils sont vraiment forts. Je pense que leur meilleur idée c’est la diversification : média, construction, télécommunication, énergie, transport,… Ils sont partout.

Il parait même que c’est eux qui construisent les centres de rétention pour les sans-papiers, c’est d’ailleurs drôle qu’ils soient accusés de faire travailler des sans-papiers au noir sur leur chantier ! En même temps c’est pas vraiment de leurs faute, ils sous-traitent, c’est ces entreprises qu’il faudrait fermées et même mettre leurs patrons en prison.

En tout cas je suis bien comptant d’être client chez eux, c’est quand même mieux qu’à Orange où ils se suicident tous.

24. Je suis Denis Sassou-Nguesso, président de la République du Congo

Je suis milliardaire, ma fortune est estimée à plus de 6 milliards de dollars. J’ai été nommé président par le comité centrale du parti congolais du travail en 1979 et je suis resté à ce poste jusqu’à la première élection démocratique de mon pays en 1992. Après cela il m’a fallut 5 ans et une bonne guerre civile qui a fait 15 000 morts, pour me reproclamer président. Depuis j’y suis j’y reste !

C’est un bon poste pour faire vivre sa famille et son entourage, entre les commissions et les détournements je mène une vie royale.

Bien sur pour cela il faut connaitre du beau monde, comme çà quand çà commence à chauffer, il y a toujours des hauts placés pour classer les affaires. Pour çà j’aime beaucoup les français et mes autres amis africains, d’ailleurs j’ai marié ma fille avec feu Omar Bongo. Aujourd’hui, il y a environ 112 comptes bancaires à mon nom ou à ma famille en France, et je possède plus de 18 appartements et hôtels particuliers dans ce beau Pays.

Et ils peuvent toujours continuer à essayer de me trainer devant les tribunaux, je suis intouchable !

Je sais pas qui a dit « bien mal acquis ne profite jamais » mais ce qui est sûr c’est qu’il avait tort.

Bon c’est vrai qu’en faisant les calculs, j’ai pris l’équivalent de la dette actuelle de mon pays, mais si çà avait pas été moi, c’aurait bien été un autre.